Hommage à Philippe KANONKO
La triste nouvelle est tombée le 1er novembre 2011 : « l’Ambassadeur Philippe Kanonko vient de mourir ». L’information circule vite. De Gatineau à Ottawa, en passant par Montréal, London et Sherbrooke, elle fait rapidement le tour du Canada. Le même soir, la famille, les amis, les connaissances — qu’ils se trouvent à Cankuzo, à Addis-Abeba ou à Paris — sont déjà au courant. Tel « Ijuru rikorotse », le Ciel s’effondre littéralement sur la diaspora burundaise du Canada. Comme toujours, c’est d’abord l’incrédulité, une sorte de déni que cela n’est pas vrai. On se lève, on s’assoit, on se regarde sans se voir. On essaie de se convaincre que c’est un cauchemar : on espère qu’on va vite se réveiller. On se hâtera d’oublier... Malheureusement, le cauchemar persiste. On finit par se rendre compte que c’est la réalité. C’est alors le choc. On est atterré. Le déni fait place à la douleur, à la tristesse, à la colère.
C’est donc une foule immense qui, le 12 novembre, converge à la Cathédrale Marie-Reine du Monde de Montréal. L’église est pleine à craquer. Ils viennent de tous les coins du Canada, d’un océan à l’autre, pour rendre un dernier Hommage à Philippe. Ils viennent par milliers l’accompagner à sa dernière demeure. De mémoire de montréalais, on n’avait jamais vu un tel rassemblement de burundo-canadiens.
Dans un recueillement total, ils assistent d’abord à une messe haute en émotions, concélébrée par les prêtres de chez nous dans un kirundi savamment dosé de français. Au-dessus du beau cercueil de bronze fleuri, recouvert des couleurs nationales du Burundi, on peut imaginer l’Ambassadeur regardant l’assistance avec son sourire légendaire joyeusement communicatif ; on le voit presque avec sa belle tête agréablement couronnée de blanc éclatant ! On croyait l’entendre dire « Je ne suis pas mort, j'ai arrêté de vivre » ! Comme un écho à cette voix, un de ses meilleurs amis lit ce beau poème de Saint-Augustin : « La mort n’est rien. Je suis seulement passé dans la pièce à côté ». On perçoit alors quelques sanglots étouffés ; on surprend tel ami nettoyant furtivement une larme. Oui, c’est pénible pour tous ! En même temps, on constate à quel point Philippe Kanonko était aimé et respecté. Et quand, à la fin de la messe, le prêtre souffle sur la chandelle allumée, il nous rappelle que « la mort n'est pas l'obscurité, c'est une lampe qui s'éteint, car le jour se lève ». Par la suite —à travers les rues de Montréal — la foule accompagne Philippe jusqu’au « Mausolée Le Repos Saint-François d’Assise » où il repose désormais !
Et c’est cette même foule qui, en cette journée de samedi 19 novembre, se donne rendez-vous à la Paroisse Marie-Médiatrice d’Ottawa. Saint- Augustin disait : « Priez, souriez, pensez à moi, priez pour moi » ! Autour de la famille de l’illustre disparu, la diaspora burundaise et ses amis canadiens viennent donc prier pour que Dieu lui accorde une place de choix à ses côtés, et pour penser à lui. L’assistance a droit à une belle messe chantée, concélébrée encore une fois par deux prêtres de chez nous, et une homélie de circonstance qui vous fait réfléchir sur le sens de la vie !
C’est aussi l’occasion de procéder aux traditionnelles cérémonies de levée de deuil partielle, suivie de témoignages. N’est-ce pas, comme disait l’autre, que « le malheur de l'avoir perdu ne doit pas nous faire oublier le bonheur de l'avoir connu » ? D’emblée, l’assistance est plongée depuis sa tendre jeunesse. Son professeur de collège à Rusengo nous ramène en 1965 où le jeune Kanonko, souriant, sérieux et brillant, fait partie de ses meilleurs élèves. Lorsqu’ils se revoient quelques décennies plus tard, « l’élève avait déjà dépassé le maître », nous dit ce québécois, bien en forme, paraissant quinze ans de moins à sa septantaine révolue. Devenu Ambassadeur de son pays au Canada, Philippe tient, dès son arrivée, à retrouver son « professeur » comme il continuait à l’appeler affectueusement. Avec beaucoup d’émotions, celui-ci révèle que le plus grand rêve de Philippe était de contribuer à construire un Burundi meilleur.
C’est ce que confirme d’ailleurs cette autre lettre émouvante envoyée par un haut dignitaire burundais — aujourd’hui établi à Addis-Abeba — qui a cheminé avec Philippe à une époque charnière de leur vie. Il nous relate avec fierté ce jeune travailleur dynamique et compétent toujours côté « Élite ». On en apprend un peu plus sur sa vision progressiste et nationaliste qui lui a valu rapidement du respect tant sur le plan national que dans sa province natale. Pour un fils de Cankuzo, une élection comme Député suivie d’une nomination au Gouvernement et d’un poste d’ambassadeur au Canada puis en France est le reflet des qualités exceptionnelles de l’individu. Son amour du travail, son courage à affronter les défis, Philippe les démontrera à merveille même à la fin de ses mandats politiques. Il n’hésite pas à compléter un MBA et à entamer une thèse de doctorat. Parallèlement, il sillonne le monde comme Consultant senior avant de se joindre définitivement au Bureaude Services Conseils du Gouvernement au Ministère des Travaux Publics et Services Gouvernementaux du Canada.
Et les témoignages continuent. C’est le tour des diplomates burundais – en activité ou pas – de lever un autre coin de voile : sans rancune et sans égard aux appartenances politiques, et bien qu’il ne soit plus lié d’aucune manière au gouvernement burundais, Philippe les approchait dès leur arrivée à Ottawa pour offrir bénévolement son aide, son savoir-faire, son expérience et son réseau. Méfiant avant de le rencontrer, ils repartaient enchantés.
Toujours des témoignages : ils viennent de partout. Ceux émanant d’illustres personnalités du pays d’adoption, dont celui de l’ancien Premier ministre du Québec Bernard Landry, montrent à quel point Philippe était tenu en estime. Actif au national, il ne l’était pas moins au niveau municipal : un conseiller élu de Gatineau me glisse à l’oreille que Philippe n’hésitait pas appeler et à faire connaître son point de vue sur certaines décisions d’importance.
Les témoignages des membres de la diaspora présents, on ne les comptera pas non plus. Ils sont si profonds et si émouvants que personne ne voit le temps passer. Seul le maître des cérémonies regarde l’heure. Mais imperturbablement on continue : tout le monde veut rendre hommage à ce père modèle, à ce mari fidèle, à cet ami compatissant, à ce voisin généreux, à cet aidant disponible en toutes épreuves, à ce compatriote infatigable, à ce promoteur de bonnes œuvres, à ce bâtisseur, à ce rassembleur, à ce pilier de la diaspora. Kanonko, on le savait grand, mais on découvre son immensité !
Et quand la famille se lève et affirme qu’elle poursuivra avec amour et dignité l’héritage laissé par Philippe, on se rappelle encore que « la mort n'est pas l'obscurité, c'est une lampe qui s'éteint, car le jour se lève ».
Salut Philippe !
Gabriel Hakizimana, Ph.D