Pour une éthique démocratique respectueuse de la volonté populaire au Burundi

Droit de réponse à Leadership Institute concernant ses commentaires en rapport avec mon article « Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain? »


D’emblée, je voudrais vous remercier, Monsieur du Leadership Institute, d’avoir lu mon article et de l’avoir jugé digne d’une réaction assez détaillée. Il me sera peut-être utile dans l’avenir de connaître votre vrai nom en guise de signature de vos idées que vous devez bien sûr assumer en véritable « mushingantahe ».  


Mon article ci-haut indiqué à suscité pas mal de réactions (la plupart m’ont été adressées personnellement) surtout des expressions de soutien à son argument principal# que je voudrais ici réitérer en ces termes: les problèmes actuels liés au contentieux post-électoral de 2010, à la gestion politique du pouvoir et à l’absence d’une éthique démocratique  appréciable par tous, ne sont pas en eux-mêmes une remise en question de l’évolution du peuple burundais vers l’unité, la démocratie et l’égalité. Cette évolution, qui est le fruit à la fois des Accords d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi et de l’expression de la volonté populaire à travers les deux derniers scrutins (2005 et 2010), est à préserver par quiconque voudrait que le Burundi évolue vers une démocratie véritable. Dans le cas du Burundi en effet, contrairement à ce que vous affirmez dans votre réaction, ce n’est pas avant tout « la gestion politique dans un contexte de respect des principes démocratiques qui déterminent l’évolution vers l’unité, la démocratie et l’égalité », une telle gestion n’a jamais existé au Burundi.  C’est plutôt l’évolution récente susmentionnée (Accords d’Arusha et élections démocratiques) qui fait qu’on peut (vous et moi) parler maintenant, librement et véritablement, de démocratie, d’unité et d’égalité quoique celles-ci doivent se consolider par le développement d’une culture politique respectant les principes démocratiques. Si nous remettons les choses dans cet ordre, votre réaction n’a pas démontré que ce que je dis est faux. Au contraire, elle fait parfaitement transparaître le fait que vous faites partie de l’opposition burundaise puisque vous semblez tellement exacerbé par le pouvoir de Bujumbura et son président que vous ne voyez aucun fait positif qu’ils auraient accompli pour le peuple burundais. Rien donc d’étonnant que vous puissiez penser que la voie de la guerre soit la seule ultimement envisageable. Pour me convaincre d’un tel argument néanmoins, il faudrait demander à tous les Burundais ce qu’ils en pensent (par voie de sondage d’opinion, comment les rejoindre?). Dans le cas où plus de 50% des burundais, petits et grands, riches et pauvres, soutiendraient la voie de la guerre ou simplement le renversement du pouvoir CNDD-FDD par la force, alors vous auriez plus ou moins raison. Pour le moment, rien d’autre ne permet de vérifier votre argument sinon les récents résultats des élections (2010) que malheureusement vous contestez. 


Cela étant dit, je dis que si le Burundi n’est pas encore au stade d’une démocratie mature  telle que tout un chacun la voudrait (rares sont par ailleurs, dans le monde empirique, des démocraties pour lesquelles il n’y a rien à se plaindre), il y a un pas déjà fait, une étape déjà franchie, qui indique au moins un premier seuil de démocratisation du pays. Mais, au regard de la situation socio-politique qui a prévalu au Burundi depuis l’assassinat du Prince Louis Rwagasore jusqu’à la signature des Accords d’Arusha, j’ai identifié ce pas à un « pas de géant » dans l’évolution du Burundi vers l’unité, la démocratie et l’égalité. Je renvoie par-là plus concrètement aux équilibres politico-ethniques et génériques imposés par la Constitution, elle-même inspirée des Accords d’Arusha (équilibres qui visent à corriger les inégalités tristement célèbres mentionnées dans mon article)#, et au fait que le peuple a pu élire ses dirigeants durant les deux derniers scrutins et les voir gouverner le pays voilà bientôt sept ans. Vous pouvez bien sûr toujours contester la validité de ces accords et de ces élections mais ce qui importe, à mon sens, c’est que ces scrutins ont été validés, démocratiquement, par des observateurs neutres# nationaux (on peut citer par exemple les représentants des Églises et des organisations de la société civile) et internationaux.


Cette double légitimation du pouvoir actuel par l’expression populaire et par la communauté internationale doit constituer la cible première des opposants politiques qui veulent démocratiquement lui contester le droit de gouverner le pays. S’ils ne réussissent pas à convaincre l’opinion nationale et internationale du bien-fondé de cette contestation sur une telle base, ils peuvent également tabler sur des faits démontrant la mauvaise gestion du pays par le parti au pouvoir qui détient la majorité (notamment les faits que vous énumérez dans votre réaction) non pour remettre en cause cette légitimité en tant que telle, mais en vue d’empêcher sa réélection aux prochaines échéances électorales (puisque le parti au pouvoir actuellement détient une majorité parlementaire et sénatoriale lui assurant une survie jusqu’à ces échéances)  et éventuellement de traduire en justice les coupables des différents méfaits dénoncés. Évidemment, même à ce titre, la responsabilité dans les crimes ne peut pas être collective, elle doit pouvoir s’établir sur base individuelle. La réussite de ces manœuvres visant à empêcher un parti politique ou un ensemble de partis politiques d’être élu(s) ou réélu(s) par la population n’est nullement garantie. C’est pourquoi, les acteurs politiques nationaux, qui aiment véritablement leur peuple, doivent être psychologiquement préparés à accepter de subir éventuellement la défaite et cherchent d’autres moyens de gagner leur pain, du moins pour ceux qui espéraient vivre de la politique. 


En effet, en démocratie, certains partis sont éliminés progressivement de la scène politique par le seul jeu démocratique. La plupart des démocraties occidentales sont actuellement marquées par deux ou quelques partis politiques qui s’alternent au pouvoir suivant les choix du peuple alors que d’autres partis sont réduits à une insignifiance politique. Le peuple peut élire un même parti pour plusieurs mandats autorisés par la Constitution.  Au départ, un nombre élevé de partis politiques ont dû jeter le tablier par manque de soutien populaire. C’est pourquoi  je disais, dans mon dernier article, que « la souveraineté populaire est démocratiquement inaliénable ». 


En conséquence, la prise des armes visant à forcer la mise en œuvre de la volonté de certains individus ou de certains groupes d’individus (dont le caractère politiquement minoritaire indique qu’ils ne représente pas la majorité du peuple) avant les prochaines échéances électorales s’identifie à une contestation des fondements mêmes de la démocratie,  surtout à un déni au peuple du droit de désigner ses propres dirigeants. Du point de vue théorique et de celui de l’idéal démocratique, cela est inacceptable. 


Qui plus est, mon article ne disait pas que les revendications des partis d’opposition, des représentants des organisations de la société civile burundaise, et d’autres acteurs politiques burundais, déçus par la gestion du pouvoir par le CNDD-FDD, n’étaient pas fondées. Elles peuvent au contraire bien l’être. Toutefois, tant qu’aucun observateur neutre n’en a confirmé le fondement et la validité, après confrontation et analyse objectives des différentes positions, rien ne permet rationnellement de conclure que le parti CNDD-FDD, qui vient d’être élu, doit être chassé du pouvoir par tous les moyens (y compris les plus meurtriers). La récente déclaration du Sénat belge peut être comprise comme un début de réaction favorable de la communauté internationale face aux préoccupations des acteurs politiques burundais de l’opposition et à leur revendications. 


Enfin de compte, l’idée que j’avance dans l’article que vous commentez  est justement celle que vous affirmez à la fin de votre réaction : « le Burundi devra poursuivre son cheminement démocratique avec ou sans le CNDD-FDD ». Je suis parfaitement d’accord avec vous pourvu que vous réussissiez à convaincre le peuple burundais à se débarrasser librement de ce parti. Le jeu démocratique vous impose de passer par la population pour accéder au pouvoir. Il n’autorise personne à imposer par les armes sa volonté à cette population.  Je ne suis pas en effet certain que les groupes armés actuels constituent, comme vous l’affirmez, un «soulèvement populaire» qui serait similaire à ce qui vient de se passer dans les pays arabes. Je me méfie de vos comparaisons vraisemblablement faciles : les contextes socio-politiques de la Tunisie, de l’Égypte et surtout du Troisième Reich allemand sont assez différents de celui du Burundi contemporain pour en diluer la teneur. En ce qui concerne le « printemps arabe », non seulement il y a eu «soulèvement populaire» au vrai sens du terme, mais également ce mouvement a été soutenu par la communauté internationale (l’ONU et les grandes puissances occidentales) qui en a permis l’aboutissement plus ou moins favorable. 


Au Burundi, de tels soulèvements populaires (si l’on exclut les diverses grèves des fonctionnaires qui ne s’identifient nullement à ce genre de soulèvement) n’existent pas encore, du moins au stade actuel. Le parti CNDD-FDD semble profiter d’un véritable soutien de la population, surtout de l’intérieur du pays,  pour consolider les assises de son pouvoir. Certes, la démocratie au Burundi est jeune, le titre de mon article n’était pas aléatoire : elle est un bébé qui a besoin de nourriture, de soins, de croissance et de maturation. Mais le bébé est bien là, il faut éviter de le jeter avec l’eau du bain. Si l’on tue le bébé, fût-il malade, on devra recommencer à zéro le processus de génération : fécondation, grossesse, accouchement. Le dialogue dont nous avons indiqué la nécessité# s’inscrit dans le cadre de ces soins. Il ne signifie pas une reprise des négociations comme à Arusha mais une consolidation des acquis que ces négociations ont permis d’obtenir. Il en est de même de la poursuite de l’évaluation de l’application des principes énoncés dans l’Accord d’Arusha ainsi que de la nécessité de la mise sur pied de la Commission Vérité et Réconciliation et du Tribunal spécial. De telles instances, une fois implantées, permettront d’avancer dans le processus de paix en rendant possible la réconciliation nationale ainsi que la réduction de l’impunité qui gangrène le pays. À ma connaissance, le gouvernement actuel est train de mettre en branle le processus de mise en place de ces instances. La communauté internationale, surtout l’ONU, devrait l’encourager à le faire dans des délais raisonnables.  


J’appelle de telles instances, et bien d’autres, visant à améliorer la culture démocratique, l’unité et l’égalité, de l’avancement vers une société burundaise meilleure, se développant selon une éthique démocratique respectueuse de la volonté populaire (ce Burundi heureux et prospère dont rêvait le jeune prince Louis Rwagasore; ce Burundi nouveau dont rêvait le Président Ndandaye Melchior). A contrario, la guerre déclenchée par les groupes armés dans le contexte actuel ne viendrait pas sauver cette jeune démocratie, elle viendrait plutôt en détruire les bases déjà jetées et ramenerait le peuple burundais au stade pré-Arusha. Ce qui, à mon sens, ne devrait pas figurer parmi les actions que les patriotes burundais, amis du peuple burundais dans son ensemble, devraient encourager ou envisager. Le véritable patriote accepte de se soumettre à la volonté populaire surtout lorsque celle-ci est défavorable à ses désirs et à ses projets les plus chers. Il avance ses idées dans le respect de celles de ses compatriotes et s’adressent aux organes nationaux et internationaux compétents pour faire valoir ses revendications les plus réalistes. Dans le Burundi actuel, je doute que ceux qui prônent une« guerre de libération» puissent figurer parmi de tels patriotes.


Rev. Isaac Nizigama, Ph.D


09/12/2011
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